Quelle définition donnez-vous à la qualité de l’habitat ?
Il me paraît intéressant d’avoir une approche globale et de parler d’habitat plutôt que de logement. Parler d’habitat signifie que l’on envisage à la fois le logement en lui-même mais également son environnement. Pour moi, un logement de qualité est avant tout adapté à la personne, non standardisé, de manière à permettre à ses occupants de s’approprier les lieux et de se projeter dans une histoire personnelle.
Cette tendance à la standardisation et à l’augmentation des normes a notamment pour conséquence de diminuer la part de possibilités pour les architectes de faire évoluer la conception architecturale des logements, c’est dommage.
Au fil du temps, on a limité les typologies de logements, pour réduire le choix entre, d’un côté, la maison individuelle, de l’autre, le logement collectif. On en oublie d’ouvrir l’éventail des formes architecturales comme les maisons en bande, l’habitat intermédiaire superposé, les maisons de ville, etc., des compositions urbaines précieuses pour recoudre la ville avec l’existant.
Malheureusement, quand on demande à un architecte d’intervenir, c’est généralement pour faire une étude capacitaire, c’est-à-dire remplir une parcelle avec le plus grand nombre de logements possibles. Il existe pourtant de multiples manières de générer du logement, aujourd’hui disparues ou moins visibles et je regrette cette perte de possibilités pour l’architecte de proposer des conceptions qui permettent de valoriser le meilleur de chaque site.
Dans quelle mesure la qualité de l’habitat influe-t-elle sur la qualité de vie selon vous ?
Les deux notions sont indissociables. À partir du moment où une personne se sent bien dans son logement, dans son intimité, elle se construit personnellement. L’habitat est la première pierre de la vie en société, on y construit sa propre vie et aussi son rapport aux autres. Quelqu’un qui se sent bien dans son logement, c’est quelqu’un qui va avoir un refuge, nécessaire. La relation entre la qualité de l’habitat et la qualité de vie en général est donc intrinsèque.
C’est d’ailleurs pour moi ce qui marque la différence entre ceux qui pensent que l’on peut concevoir des logements comme un produit défiscalisé, standard, posé sur une parcelle et les autres, pour qui concevoir un habitat est synonyme de contextualisation, et ouvre des perspectives nouvelles : avoir un hall d’entrée, quelques m² supplémentaires qui viennent apporter la souplesse à un logement et tout son attrait, les hauteurs et le volume ou alors une fenêtre parfaitement cadrée sur un paysage, un arbre, etc., tout ce qui permet à l’homme de se situer dans son environnement, de s’y sentir bien, et nous permet ensuite d’aller plus facilement vers les autres.
Quel(s) lien(s) faites-vous entre logement, logement de qualité et logement durable ?
Il y a bien sûr un lien direct entre logement durable et logement de qualité. Je ne les dissocierais pas.
Aujourd’hui, nous devons faire face à plusieurs types de crise : la crise de la biodiversité, la crise de la pénurie de matériaux et la crise climatique. Il va falloir adapter nos logements rapidement aux canicules et aléas climatiques et atténuer les effets de nos modes constructifs actuels qui amplifient ces 3 crises. Et nous devons conjuguer avec ces crises les aspirations légitimes des habitants et leurs besoins en termes de logement.
Dans ce contexte, quels que soient les enjeux, on ne peut pas négliger la qualité du logement que l’on construit ou que l’on réhabilite car les conséquences peuvent être lourdes. Bien sûr, on peut toujours continuer à produire du logement standardisé, totalement déconnecté de son contexte. Mais cela me semble éloigné des principes mêmes de la fabrication d’une vie en société. Le risque est grand de créer un contexte social beaucoup plus difficile, première pierre à l’émergence d’inégalités sociales, à l’apparition de tensions et problématiques sociétales.
Ces derniers mois, vous avez alerté à plusieurs reprises sur la perte de qualité des logements neufs. Comment inverser cette tendance et comment la certification NF Habitat peut y contribuer ?
On constate en effet depuis de nombreuses années une perte de qualité des logements neufs. Et pour cause : nous avons perdu une pièce en dix ans, des centimètres en hauteur sous plafond. Nous devons composer avec des matériaux de moins bonne qualité pour faire des économies. On a aussi perdu la pièce « cuisine » en elle-même qui est devenue un mur dans le salon, on a fait disparaître les entrées… un certain nombre d’éléments qui donnaient pourtant des repères dans l’habitat.
Aujourd’hui, si la certification peut aider à améliorer certains points (en matière énergétique et thermique par exemple), elle ne doit pas être détournée de ses objectifs par les maîtres d’ouvrage et pousser à la standardisation des logements neufs. Prenons l’exemple des hauteurs : si on indique que les logements ne doivent pas faire moins de 2,50 mètres de hauteur, cela ne doit pas être interprété comme un seuil et il ne faut pas s’interdire de proposer des logements hauts sous plafond, plus lumineux. Tout dépend du projet et du contexte. Soyons ambitieux !
De manière générale, le rapport à la conception doit se penser par rapport au lieu où l’on se trouve. On ne peut pas concevoir le logement et sa qualité de la même manière à Marseille, à Lille ou dans une ville moyenne. Le logement doit être en osmose avec le milieu dans lequel il s’inscrit. Cela demande du temps de fabrication car il faut penser la conception de manière à ce que les logements aient leur propre personnalité et permettent aux gens de s’y sentir bien, d’y trouver un refuge. Et l’on trouve souvent notre refuge là où il y a de la différence, loin des standards.
Quels sont les leviers pour améliorer la qualité des logements existants ?
Il est primordial de rénover au maximum les logements existants. Avec plus de 5 millions de passoires thermiques, 12 millions de personnes qui vivent dans des conditions de mal-logement, et en sachant que 80 % de la ville du futur existe déjà, il faut rénover massivement l’existant !
Concernant le logement neuf, nous sommes aujourd’hui en capacité de faire du bâti passif, à énergie positive. Nous pourrions presque être plus exigeants en matière de labellisation !
Concernant la rénovation, c’est différent. Il y a un énorme travail d’ingénierie à faire en amont qui n’est pas toujours compris. En architecture, c‘est comme en chirurgie, on ne travaille pas la qualité d’un logement existant sans faire un bon diagnostic. Ce diagnostic va changer en fonction de l’époque de construction du logement, de sa région et de son état. Aujourd’hui, nous avons les moyens nécessaires pour rénover beaucoup de choses et même parfois des ruines, avec des matériaux locaux à proximité. Les architectes ont cette capacité d’adaptation, quel que soit le site existant.
Pour moi, une bonne réhabilitation, c’est aussi savoir mettre en lumière ce qui fait le patrimoine. Tout dépend du bâtiment bien sûr, mais en général il y a toujours un degré patrimonial structurellement viable qui peut et doit servir de base à l’existant. À nous, architectes, de révéler la magie de chaque site. C’est ça une rénovation réussie !
Bien sûr, il faut appréhender la rénovation d’un point de vue thermique, mais l’enjeu c’est aussi de révéler le potentiel de chaque site. De plus, cette rénovation thermique, nous l’appréhendons trop souvent sous l’angle de la dépense d’énergie. Il faut aussi et surtout, la voir en fonction du « confort d’été ». C’est un élément qui n’est pas assez pris en compte à mon sens dans les stratégies environnementales de l’État. N’oublions pas que d’ici 2100, nous aurons 20 jours de canicule mortelle par an pour 74 % de la population ! L’adaptation à des températures extrêmement élevées est indispensable. Tout en limitant le plus possible la climatisation, cela veut dire, par exemple, de travailler avec des matériaux qui ont une inertie thermique importante et vont permettre le déphasage pendant la nuit de la chaleur, de privilégier les logements traversants… L’architecte doit s’interroger sur la capacité de chaque bâti pour supporter des chaleurs.
Et je suis optimiste car la période est formidable pour l’architecture : on a des solutions pour à la fois travailler sur ce confort et à la fois travailler sur cette magie qui fait que l’on se sent bien chez soi.
Dans quelle mesure l’Ordre des architectes va contribuer à véhiculer les valeurs de qualité du logement auprès des professionnels du secteur de la construction mais aussi de la rénovation ?
Nous le faisons depuis quelques années à l’Ordre. C’est en ce sens que nous avons élaboré un plaidoyer qui a été pensé et conçu par les 300 élus de l’Ordre présents sur tout le territoire. Il s’articule autour de 5 axes qui, selon nous, permettront de dépasser les défis écologiques et conjuguer les aspirations des Français.
- L’équilibre des territoires : comment limiter l’étalement urbain, comment proposer du conseil en amont auprès des élus pour les accompagner face à la revitalisation de leur centre…
- Passer d’une politique du logement à une politique de l’habitat : proposer une politique interministérielle de l’architecture, se réintéresser aux quartiers péri-urbains, fabriquer de la densification douce, remettre la conception du logement au cœur de la fabrication de la ville, neuve ou réhabilitée.
- La réparation de l’existant : comment limiter les démolitions, notamment en secteur de rénovation urbaine, comment accompagner les pouvoirs publics sur la revitalisation des centres bourgs, partout où il y a un fort potentiel pour fabriquer du récit et choisir ensemble la destinée de notre territoire.
- Changer nos pratiques : nous devons tous évoluer ! Les promoteurs vont devoir beaucoup plus réhabiliter et arrêter de fabriquer une ville avec des produits clef en main, les architectes vont devoir travailler avec des matériaux renouvelables ou du réemploi, les élus vont devoir être exigeants pour réduire les dépenses, augmenter la qualité de vie dans les villes denses et pour cela, associer les habitants.
- La création de valeur de filières locales de proximité. Nous avons un atout en France, celui de posséder des matériaux locaux de proximité. Il faut donc militer pour une architecture de circuit court qui nous permettra de développer des filières dans chaque territoire : les producteurs de matières premières (agriculteurs, forestiers), les élus locaux qui vont devoir nous aider à porter ces projets, les promoteurs qui vont devoir pratiquer le réemploi et travailler ensemble à la décarbonation de la ville par ces biais-là.
Ce plaidoyer pour nous est fondamental. Mais au-delà des paroles, il faut des actes et nous engager collectivement dans des actions précises. Par exemple, auprès des élus locaux, nous voulons augmenter la présence du Conseil avec le dispositif « un maire, un architecte » pour aider à la prise de décision. Évidemment, dans ce schéma, nous pensons aussi aux CAUE, aux architectes conseils de l’État et au développement de la consultance architecturale, etc. On pense aussi à développer, au niveau des régions, des filiales de circuit court, en créant des Comités de liaison des matériaux biosourcés comme cela a été monté en Île-de-France. Nous travaillons également avec des chartes de qualité dans les villes, en accompagnant les collectivités, en développant davantage les relations avec les élus locaux afin qu’en amont dans les PLU, il y ait un regard sur cette qualité attendue et nécessaire de l’habitat.
Un architecte est un professionnel qui a le droit de déposer un permis de construire mais ce droit est également lié à des devoirs. Parmi ses devoirs, il y a celui de garantir une construction de qualité, respectueuse de son environnement. Pour cela il faut nous en donner les moyens, notamment en s’assurant que nous puissions réaliser notre mission de l’amont à l’aval, du diagnostic à la réception des travaux.
La crise des gilets jaunes a révélé les problématiques liées à l’aménagement du territoire. L’étalement urbain a considérablement accentué la dépendance à la voiture avec les conséquences que l’on connaît sur le pouvoir d’achat des Français depuis l’augmentation du coût de l’essence. C’est une situation qui pourrait devenir rapidement dramatique.
On a eu la même chose avec le confinement : les architectes avaient alerté en amont de la loi ELAN que l’on perdait de la qualité dans la fabrication des logements, ce qui est d’autant plus vrai depuis l’arrivée de la VEFA dans le parc social.
Enfin, après le confinement et avec la crise géopolitique actuelle, nous avons un « avant-goût » de ce que pourrait être une forme de pénurie de certains matériaux que nous utilisons beaucoup actuellement, comme le zinc ou le cuivre dont on connaît presque les dates limites de péremption. Il y a également des enjeux forts sur la production de matériaux que l’on utilise tous les jours comme le béton, grand consommateur de sable.
Dans tous ces domaines, nous sommes un peu lanceurs d’alerte, c’est notre rôle d’intérêt général à l’Ordre. Mais ça ne suffit pas et on ne peut pas s’en féliciter. Beaucoup d’architectes sont pionniers dans plein de domaines liés au développement durable et proposent des solutions comme dans le domaine du réemploi. Nous sommes tout à fait capables de construire à partir de matériaux existants. C’est une nouvelle forme de conception qui s’impose à nous. Nous ne travaillons plus enfermés dans notre agence en choisissant des matériaux dans un catalogue. Désormais, on se demande « qu’est-ce que j’ai à ma disposition pour construire ? ». Nous entrons dans une nouvelle ère, compliquée certes, mais qui nous permettra de moins gaspiller de matières premières et de plus considérer l’existant. Contrairement à ce qui se passe depuis de nombreuses années. Rappelons-nous que l’on produit 66 % des déchets dans le bâtiment ! Et jusqu’à 75 % en Île-de-France.
Comment former les futurs architectes à la conception de logements de qualité mais aussi à leur rénovation, véritable enjeu de société ?
La nouvelle génération d’architectes arrive déjà en école avec une vraie conscience écologique. Et dans les écoles, il existe déjà une prise de conscience de tous ces enjeux. C’est indéniable. Mais il y a des choses à améliorer, très clairement. L’enseignement en architecture dépend du seul ministère de la culture. Or, il faudrait aujourd’hui qu’il y ait beaucoup plus de transversalité et que l’enseignement en architecture soit davantage financé par l’État, de manière à garantir une possibilité de formation encore plus engagée et plus proche des territoires sur les sujets de transition écologique.
Malgré tout, les écoles d’architecture sont extrêmement investies grâce notamment aux enseignants qui ont créé un réseau qui s’appelle « ENSA Éco », dans lequel ils partagent les bonnes pratiques pour assurer un enseignement de qualité au niveau de l’écologie, et notamment sur les enjeux de la réhabilitation.
Mais la mutation que connaît le secteur de l’architecture doit se faire auprès de tous les autres acteurs du bâtiment. Si nous avons pris la mesure des choses sans attendre que l’État nous aide, d’autres formations et d’autres métiers liés à l’immobilier ont besoin d’avancer sur ces valeurs là et nous devons avoir des objectifs partagés. Il faudrait pour cela un minimum de connaissances communes sur les enjeux écologiques de notre secteur. Il n’est plus admissible que lorsque l’on parle à des commerciaux, des acteurs de la promotion, certains ne connaissent même pas les enjeux écologiques de notre secteur. Ce cursus commun doit nous rappeler que nous n’avons qu’un habitat : la Terre, et que lorsque l’on fait un métier lié à l’immobilier, qui touche directement au milieu dans lequel on vit, à notre environnement, on ne travaille pas sur un simple produit économique mais sur la garantie de notre survie à tous.
Mais on ne peut pas y arriver seuls, on a besoin de tous les acteurs du secteur. Nous devons re-fabriquer une chaine de valeurs collectives, qui certes ne sera pas la manne financière que nous avons connue depuis 40 ans, mais qui nous permettra de continuer de fabriquer la ville ensemble.
De la même manière, nos métiers vont muter, c’est indéniable, et il vaut mieux que l’on choisisse la mutation que nous souhaitons plutôt que de la subir. Nous devons presque inverser notre façon de penser et notre rapport à la nature. C’est compliqué mais les architectes sont prêts à y participer. Une bonne nouvelle : ces mutations vont revaloriser les métiers. On ne va plus mettre de l’argent dans des matériaux que l’on va chercher au bout du monde, mais plutôt dans des savoir-faire et donc valoriser des personnes qui détiennent ces savoir-faire. Il faut retrouver aussi la relation à la matière, au sensible…. À l’instar de QUALITEL, il faut que l’ensemble de la chaîne repense la notion de qualité des matériaux et de confort de vie.
De belles avancées sont devant nous !