La crise que traverse le secteur de l’immobilier est profonde. Quel regard portez-vous sur cette période ?
La période que nous traversons est celle d’une double crise. Dans les zones tendues, nous ne produisons toujours pas le volume de logements suffisants pour répondre à la demande. C’est une crise de l’offre et qui perdure depuis des décennies. Parallèlement, la montée brutale des taux d’intérêts engendre une crise de solvabilité des acquéreurs. C’est une crise de la demande solvable. Or un promoteur conçoit et fabrique un produit qu’il vend. Il a donc besoin de clients en capacité financière d’acquérir. Sur le marché du logement, il y a trois types d’acheteurs : les investisseurs institutionnels qui acquièrent des logements dits « en bloc », c’est-à-dire un immeuble entier pour mise en location, les investisseurs particuliers et enfin les accédants à la propriété. Or, ces trois sources d’acheteurs se sont taries depuis la mi-2022.
Du côté des institutionnels, à l’exception des investisseurs parapublics (CDC-Habitat, In’li, Taunus) la hausse des taux a provoqué leur fuite du marché de l’immobilier neuf. Du coté des particuliers, la réaction a été plus lente, mais dès septembre 2022, nous en avons perçu les effets. Les banques constatent une baisse de 40 % de demandes de crédits, et dans le même temps, ces mêmes banques, sous l’effet des conditions d’octroi édictées par le haut conseil de la stabilité financière, refusent un nombre plus important de demandes de crédits. Pour le dire différemment, tous les promoteurs constatent qu’il y a moins de personnes dans les bureaux de vente et une forte augmentation des désistements post réservation.
Face à ces éléments conjoncturels, les promoteurs doivent donc très rapidement réduire leur stock de logements. Chez Emerige, nous avons très rapidement anticipé en prenant 3 types de décisions : nous avons vendu en bloc, nous avons rationnalisé nos dépenses et pilotons le développement en fonction de la disponibilité de nos fonds propres.
Les mesures envisagées par le CNR vous semblent-elles de nature à répondre aux problématiques actuelles du secteur ?
Le CNR est un temps de réflexion et de partage nécessaire, il en ressort toujours quelque chose de positif, des idées nouvelles émergent. Ce CNR avait vocation à regarder le temps long, à préconiser des réformes dites structurelles. Véronique Bédague et Christophe Robert ont parfaitement joué ce rôle et il en est ressorti plus de 700 propositions. Mais cet exercice a été percuté de plein fouet par la crise. Dès lors, les acteurs de l’immobilier n’attendent plus de préconisations structurelles mais des réponses techniques urgentes pour répondre à la crise actuelle.
Le choix du Gouvernement peut se résumer ainsi : d’un côté une action directe et massive visant à déstocker via CDC-Habitat et Action Logement, et de l’autre, l’espoir que la baisse des prix compense la hausse des taux pour resolvabiliser les clients acquéreurs. Le Gouvernement n’a pas souhaité resolvabiliser les clients particuliers par des mesures de soutien financier public.
Je ne vais pas ajouter mes commentaires à ceux que nous avons tous entendus. Les achats massifs en bloc de CDC-H et d’Action Logement sont une très bonne chose. Ces achats vont nous permettre de réduire notre exposition et donc notre risque. Les promoteurs attendaient évidemment bien plus de la part du Gouvernement notamment des mesures sur la solvabilité de nos clients particuliers investisseurs ou accédants. Tel n’est pas le cas et nous ne pouvons que le regretter.
Nous devons collectivement en tirer une leçon. Depuis 40 ans, avec force PTZ, Pinel ou Scellier, l’argent public soutient la demande. Tel n’est plus et ne sera probablement plus le cas dans les années qui viennent. C’est un changement de paradigme majeur. Le monde de la promotion immobilière doit en tirer les conséquences et repenser son logiciel. Nous ne pouvons plus dépendre de l’argent public. Nous devons être innovants. A titre d’exemple, il est indispensable d’engager très rapidement une réflexion nouvelle sur l’ingénierie du crédit immobilier, et au-delà, pour pousser des solutions innovantes et « réinventer » le crédit aux particuliers investisseurs ou accédants. Démembrement de propriété, indivision, dissociation bâti / foncier, leasing immobilier, propriété progressive sont autant de techniques qu’il conviendrait de revisiter, d’approfondir ou d’expérimenter. Ces produits sont plus que pertinents mais ils subissent des freins réglementaires ou fiscaux qui limitent leur massification.
Pour agir rapidement, chez Emerige, nous poussons le crédit immobilier dit « in fine » appliqué aux particuliers qui en sont exclus aujourd’hui. Ce produit consiste à ne rembourser qu’une quote-part d’environ 65 % du capital pendant la durée du crédit, majorée des taux d’intérêt et de l’assurance, et de ne rembourser le solde du capital qu’à la fin du crédit ou lors de la survenance d’un événement pré déterminé (vente du bien, succession). Ce modèle est simple, il ne nécessite aucun ajustement législatif ou réglementaire. A titre d’exemple, pour un crédit de 300 000 euros sur 15 ans, la mensualité d’un crédit in fine (taux mai 2023 – 35 % du crédit in fine) est de 1719 euros (nécessité d’un revenu de 4910 euros / mensuel) contre 1855 euros (revenu 5301 euros) pour un crédit amortissable (taux avant crise) et contre 2159 euros pour un crédit amortissable avec les taux actuels (revenu de 6170 euros). Ces chiffres démontrent si nécessaire le puissant effet solvabilisateur de ce modèle.
Vous portez une ambition écologique forte avec une trajectoire RE 2020 de -10 % à l’horizon 2030. Quels outils mettez-vous en place pour atteindre cet objectif ?
La RE2020 est une réglementation qui nous permet d’appréhender la performance climatique globale du logement sur le plan énergétique et sur les matériaux de construction utilisés, le tout sur une durée de vie de 50 ans.
Chez Emerige, nous avons élaboré une trajectoire carbone plus ambitieuse que la seule réglementation. Nous allons baisser notre intensité carbone / m² livré de 44 % à horizon 2030 et de 53 % pour 2034, ce qui représente une cible RE2020 de -10 %. Pour y parvenir, notre stratégie repose sur deux leviers : énergétique et mode constructif.
Sur le levier énergétique, nous souhaitons aller très vite. Dès cette année, nous voulons sortir des énergies fossiles. En 2023, nous ne déposerons plus aucun permis de construire avec énergies fossiles. En d’autres termes, nous sortons du gaz. Cette seule décision, très radicale, va nous permettre de passer d’une intensité carbone de nos bâtiments de 1330 kg de CO2 / m² à 876 kg de CO2 / m² soit une économie de 454 kg/m² et ce dès 2023.
Notre ambition environnementale ne se milite à la seule question du carbone. Nous voulons dès à présent agir sur la consommation des espaces naturels. Notre objectif est là encore très radical. Nous serons « ZAN » dès 2025. Nous ne consommerons plus de fonciers naturels, nous ne nous développerons plus que sur des terrains déjà artificialisés, des terrains « d’occasion ». Cette notion « d’occasion » peut apparaître comme dévalorisante. Bien au contraire, elle est l’avenir d’un immobilier vertueux. Dans les 20 ans, le neuf et l’occasion seront étroitement liés. Nous allons construire des logements neufs sur des fonciers d’occasion. Nous allons faire peau neuve d’immeubles d’occasion. Enfin nous construirons du neuf avec des matériaux d’occasion.
Par ailleurs, les immeubles doivent pouvoir s’adapter, évoluer pour répondre aux grands défis climatiques. Depuis plus de 30 ans, Emerige transforme, restructure et réhabilite des immeubles. Nous créons de la valeur par changement d’affectation, de modification de commercialité et de mutation vers de nouveaux espaces attractifs d’habitation. Au cours des cinq dernières années, Emerige a ainsi transformé plus de 230 000 m² de bureaux en logements.
Enfin nous avons développé une action puissante en matière de biodiversité. Nous avons mis en place une charte sur la biodiversité très volontariste qui s’articule autour de 15 actions concrètes, mesurables et opposables, appliquées à l’ensemble de nos programmes.
Comment valorisez-vous vos engagements responsables vis-à-vis de vos clients et partenaires (financiers…) ?
Emerige n’est pas soumis aux obligations de reporting extra-financier. Pour autant, dans une démarche de transparence vis-à vis de toutes nos parties prenantes internes et externes, nous avons décidé de nous soumettre volontairement à cet exercice et publions depuis 2021 un rapport extra-financier.
Investisseurs, banquiers, ONG sont de de plus en plus exigeants en matière environnementale et sociale. C’est une révolution extrêmement positive car cela nous challenge. Nous produisons donc ce rapport pour objectiver notre stratégie et rendre compte de nos actions, avec sérieux et professionnalisme.
Quelles sont les principales demandes de vos clients en termes de qualité de logement ? Les choses ont-elles évolué ces dernières années ?
Nous sommes très attentifs à proposer des programmes de très grande qualité, notamment d’usage, (architecture, décoration des halls, des paliers d’étage, grandes hauteurs sous plafonds, matériaux de qualité etc.). Pour cela, nous travaillons systématiquement avec des architectes, artisans et décorateurs de talent. Dès la conception du projet nous faisons également appel à un paysagiste avec une compétence d’écologue dans son équipe. De la même manière, et bien avant que les attentes s’expriment post covid, nous prévoyons toujours des espaces extérieurs (balcons, cours végétalisées, jardins…).
La qualité est notre marque de fabrique, je dirais même notre identité. Nous avons fait le choix de ne pas nous engager dans une course à la quantité, aux gros volumes car nous voulons maîtriser toute la chaîne de qualité. Notre comité d’engagement se prononce tout autant sur les éléments financiers que sur la qualité de l’opération, qu’il s’agisse de l’architecture, des volumes intérieurs ou des espaces extérieurs.
Ces éléments participent à l’acceptabilité du programme immobilier.
Enfin, nous accordons une très grande importance à l’art dans la ville, à sa diffusion et sa démocratisation. Dans le cadre de la charte 1 Immeuble, 1 Œuvre que nous avons initiée avec le ministère de la Culture, nous commandons et installons systématiquement une œuvre d’art contemporain dans chacune de nos réalisations.
Comment évaluez-vous la qualité des logements que vous produisez ? La certification permet-elle de garantir cette qualité attendue ?
L’évaluation de la qualité est un enjeu majeur. On ne peut plus se contenter d’affirmer les choses, nous devons en apporter la preuve.
Pour cela, la construction d’indicateurs et leur suivi est un outil fiable pour objectiver et rassurer sur la qualité de nos logements tant vis-à-vis de nos clients que de nos investisseurs.
De plus, cela donne un cadre d’intervention aux différents acteurs, tout au long de la chaîne, de la conception à la livraison. Nous parlons tous le même langage et partageons les mêmes objectifs. Cela oriente nos cahiers des charges et fixe un cap aux équipes. Produire des logements certifiés, c’est très mobilisateur en interne !
Nous labélisons nos opérations, en matière énergétique, numérique et environnementale. C’est aussi une garantie pour nos futurs acquéreurs et locataires de vivre dans des lieux de vie durables.