Intégrer la biodiversité dans les projets de construction et de rénovation

Lucile BERLIAT, Responsable activité environnement au sein de la Direction des Études et Recherche, nous parle de la place de la biodiversité en France et plus particulièrement dans le secteur du bâtiment.

La biodiversité, c’est quoi ?

La biodiversité c’est la diversité de la vie sur Terre. Elle concerne la diversité des écosystèmes, des espèces, des gènes et englobe également les relations et interactions entre tous ces organismes et leurs milieux de vie.

En quoi est-elle importante ?

La biodiversité est indispensable à la survie de l’Homme car elle offre des biens essentiels et précieux : elle nous nourrit, nous soigne, nous chauffe, nous habille… Les écosystèmes (milieux naturels et organismes vivants) procurent de nombreux « services » lorsqu’ils sont en bon état : purification de l’eau par les végétaux, fertilité des sols par l’action des vers de terre et des végétaux avec les insectes, stockage du carbone par les forêts, végétaux, sols et océans, protection contre l’érosion ou les inondations par les milieux humides. Une biodiversité en bonne santé permet de lutter contre les effets du changement climatique. Au-delà de ces aspects, la biodiversité est nécessaire au « bien-être » de l’Homme : par la présence de nature, le plaisir esthétique, l’apport culturel ou pédagogique… elle contribue à la qualité de notre cadre de vie.

Quel est l’état de la biodiversité en France ?

Notre pays abrite une grande richesse de milieux, ce qui lui confère une responsabilité importante :

  • le deuxième domaine maritime mondial avec près de 11 millions de km² ;
  • la métropole abrite 4 des 5 principales zones biogéographiques européennes : Atlantique, Continentale, Alpine et Méditerranéenne ;
  • un territoire côtoyant trois grands océans de la planète ;
  • une forêt qui couvre environ 15 millions d’hectares en métropole et près de 8 millions d’hectares en outre-mer, essentiellement en Guyane ;
  • des montagnes qui abritent un patrimoine naturel spécifique et à forte valeur patrimoniale.

Pourtant, parce que nous n’avons peut-être pas encore suffisamment mesuré l’importance de cette biodiversité, « la nature décline globalement à un rythme sans précédent dans l’histoire humaine – et le taux d’extinction des espèces s’accélère, provoquant dès à présent des effets graves sur les populations humaines du monde entier », selon le nouveau et historique rapport de la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES). Le rapport estime qu’environ 1 million d’espèces animales et végétales sont menacées d’extinction au cours des prochaines décennies, ce qui n’a jamais eu lieu auparavant dans l’histoire de l’humanité.

Quelles sont les principales causes d’érosion de la biodiversité ?

Les raisons de ce déclin sont nombreuses  :

  • l’artificialisation de notre territoire, liée à l’urbanisation et aux infrastructures de transport ;
  • la surexploitation des ressources et notamment des espèces sauvages (surpêche, déforestation, braconnage) ;
  • les pollutions de l’air, de l’eau, des sols (épandage massif de pesticides par exemple) ;
  • l’introduction d’espèces exotiques envahissantes qui modifie les conditions de vie des espèces locales, les forçant à migrer, voire à disparaitre ;
  • le changement climatique engendré par l’accumulation de gaz à effet de serre dans l’atmosphère et qui impacte les cycles de vie de tous les organismes.

Que dit la réglementation sur ce sujet ?

La Loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, promulguée le 9 août 2016 est le 3e texte réglementaire historique après la loi relative à la protection de la nature de 1976, et la loi sur la protection et la mise en valeur des paysages de 1993.

Différents textes législatifs et réglementaires portent sur certains aspects de la biodiversité et visent à :

  • définir le statut juridique des espèces protégées ;
  • préserver l’environnement de toute atteinte humaine : décentralisation, loi « Montagne », loi « Littoral », loi « Paysage », loi SRU, loi « Urbanisme et habitat ». Divers outils d’aménagement permettent ainsi de préserver les espaces naturels tels que les schémas régionaux de cohérence écologique (SRCE) ou encore les documents de planification tels que la Directive Territoriale d’Aménagement (DTA), le Schéma de cohérence territoriale (SCOT) ou encore le Plan local d’Urbanisme (PLU). Ainsi, les projets d’aménagement ou de construction sont soumis à une évaluation environnementale analysant l’état initial, les incidences et les mesures d’évitement, de réduction et de compensation à prendre pour préserver l’environnement.

Des engagements volontaires permettent aussi à certaines collectivités d’intégrer le développement durable dans leurs actions (Agenda 21) ou encore de préserver la biodiversité sur un territoire au travers de plans d’actions pluriannuels appelés Plan Locaux de Biodiversité, pour des villes comme Paris et Montpellier par exemple.

La trame verte et bleue (TVB), mise en place en 2011, participe à l’objectif des Grenelles de l’environnement 1 et 2 : enrayer la perte de biodiversité, préserver et restaurer les continuités écologiques et ainsi participer à la diminution de la fragmentation du paysage et des populations animales ainsi que de la vulnérabilité des habitats. La TVB, en reliant des réservoirs de biodiversité entre eux par des corridors écologiques, aussi bien dans les milieux ruraux que dans les milieux urbains, représente un véritable outil d’aménagement du territoire.

En quoi le secteur du bâtiment est concerné ?

Les activités de la construction et du bâtiment engendrent des impacts directs ou indirects sur la biodiversité : modification des espaces naturels, artificialisation des sols, fragmentation des milieux, pollutions diverses, des sols, de l’eau et de l’air. Les impacts sont également liés au cycle de vie des produits de construction utilisés (extraction, fabrication, utilisation, fin de vie) :

  • épuisement des ressources ;
  • acidification des sols et de l’eau qui entraine la dégradation des milieux, le dépérissement de la flore et de la faune ;
  • eutrophisation (prolifération d’algues et d’espèces aquatiques perturbant l’équilibre de l’écosystème, causant l’amoindrissement voire la disparition d’espèces animales et végétales) ;
  • émissions de gaz à effet de serre (réchauffement climatique)…

Comment la préserver dans les projets immobiliers ?

La prise en compte de la biodiversité doit se faire à chaque étape d’un aménagement, d’une construction ou d’une rénovation, avec des solutions adaptées aux spécificités de chaque projet. Il n’y a en effet pas de solutions uniques, elles doivent être identifiées au cas par cas selon le contexte et en concertation avec les différents acteurs du projet. En revanche, il existe une « méthodologie » qui peut s’appliquer dans chaque cas :

  • Le choix du site est décisif, et si c’est possible, il est préférable de construire sur une parcelle à faible valeur écologique.
  • Un diagnostic écologique est indispensable pour bien connaître les caractéristiques du site, intégrer au mieux le projet dans son environnement et ainsi limiter son impact.
  • L’emprise au sol doit être réduite au maximum afin de préserver les sols et tenter de recréer des écosystèmes pour compenser ceux qui auront été détruits. L’un des objectifs est de faire en sorte que l’enveloppe et les aménagements extérieurs deviennent des lieux d’accueil et de vie pour la biodiversité et non des sources de danger.
  • La biodiversité existante ou à créer devra aussi être préservée pendant la phase chantier. Cela nécessite de planifier cette étape à travers un plan d’organisation environnementale de chantier (zones d’implantation, planning d’intervention, gestion des pollutions, des sols, des risques pour la faune…).

Les enjeux et solutions sont-ils les mêmes pour la construction neuve et pour la rénovation du parc existant ?

Lors d’une construction neuve, il est important de s’interroger sur le lieu, en se référant au Schéma régional de cohérence écologique, en ce qui concerne les surfaces réservées à la nature, les impacts sur les sols, sur la faune, la flore… Dans le cas d’une opération de rénovation, il convient de réhabiliter et de réutiliser l’existant au maximum afin d’éviter les impacts négatifs. La phase exploitation a également toute son importance : le maintien des engagements pris en conception passe par une gestion raisonnée afin de pérenniser les aménagements prévus pour préserver la biodiversité. Toutes ces actions doivent être choisies et adaptées en fonction des espaces, des usages, des choix esthétiques.

Le choix des professionnels intervenant est bien entendu décisif pour réaliser ces actions et des compétences spécifiques sont nécessaires pour mettre en place cette gestion raisonnée et les techniques alternatives qui en découlent.

Quelles solutions concrètes peut-on mettre en œuvre ?

Parmi les actions favorisant la présence de la biodiversité en ville, l’une des plus connues est la végétalisation des bâtiments : sur les toits, les façades, les balcons… Objectif : faire du bâtiment un lieu de refuge pour les espèces.

La qualité des aménagements paysagers et leur gestion est essentielle : diagnostic, choix de la palette végétale, accueil et neutralisation des risques pour la faune… On peut citer la gestion alternative et différenciée, qui se révèle efficace pour encourager le développement de la biodiversité. Ce mode de gestion consiste à protéger les sols avec du paillage, à créer des espaces d’accueil et de refuge pour la flore et la faune, à bannir l’usage des produits phytosanitaires et avoir recours à des amendements organiques, à pratiquer un désherbage sélectif, une taille des végétaux raisonnée…

Quels acteurs sont concernés ?

Tous les acteurs de l’acte de construire sont concernés par ce sujet :

  • le maitre d’ouvrage pour impulser la dynamique, les bonnes pratiques et prendre les décisions ;
  • la maitrise d’œuvre : architectes, ingénieurs, paysagistes, qui devront travailler de concert et s’entourer d’experts écologues pour orienter les décisions ;
  • les entreprises de travaux devront se former à de nouvelles pratiques intégrant la prise en compte de la biodiversité et seront en charge de la bonne mise en œuvre des aménagements ;
  • Enfin les gestionnaires et les usagers auront pour rôle le maintien de la qualité des actions mises en œuvre.
  • Les collectivités ont aussi un rôle essentiel à jouer à travers leur politique d’aménagement de l’espace, mais aussi en tant que gestionnaire des espaces verts et publics, et peuvent contribuer à la sensibilisation des habitants.

Quel est l’impact pour l’occupant et son confort de vie dans son logement ? A-t-il un rôle à jouer ?

La biodiversité peut apporter de la valeur au bâtiment et une meilleure qualité de vie pour l’utilisateur. L’attractivité du bâti et celle du territoire dans lesquelles il s’insère peuvent être améliorées par des aménagements prenant en compte la biodiversité. Plusieurs études ont démontré l’amélioration du confort d’été dans les bâtiments grâce à la végétalisation. D’autre part, préserver la biodiversité c’est aussi améliorer notre santé au travers par exemple de l’interdiction d’utilisation de produits phytosanitaires qui ont un impact direct sur la qualité de l’air.

Pour faire perdurer la qualité des aménagements favorables à la biodiversité, les habitants doivent être associés à cette démarche en étant sensibilisés, informés, voire en participant à la mise en place d’actions pour préserver et renforcer la biodiversité : jardinage, compostage, nichoirs, hôtels à insecte…

Comment accompagner les professionnels à intégrer la biodiversité dans leurs projets immobiliers ?

Tous les acteurs du secteur de la construction se doivent de prendre les dispositions nécessaires pour atteindre l’objectif affiché de « reconquête de la biodiversité ». QUALITEL souhaite y contribuer en accompagnant les professionnels, notamment au travers de la formation et de la certification.

Si les réglementations peuvent obliger à intégrer la préservation de la biodiversité dans les projets et bâtiments de grande ampleur, ce sont bien souvent les démarches volontaires et qualitatives qui impulsent les bonnes pratiques.

Depuis 2015, la certification NF Habitat HQE comporte une rubrique biodiversité qui valorisait, jusqu’alors, et dans des niveaux supérieurs, les actions tendant à préserver la biodiversité existante sur un site ou concevoir des espaces végétalisés intégrant une fonction et un entretien écologiques. La certification NF Habitat HQE a évolué en 2018 avec une revalorisation de cette rubrique dès le niveau d’entrée HQE et qui affiche clairement son objectif : contribuer à favoriser le maintien et l’intégration des écosystèmes au sein d’une opération.

Concrètement, sur quoi porte cette rubrique biodiversité ?

Pour QUALITEL, il est important de prendre en compte la richesse écologique des lieux et non pas seulement une surface d’espaces verts sur l’opération (en façade, en toiture, etc.). La certification NF Habitat HQE a fait le choix de s’orienter davantage vers des exigences de résultats pour qualifier la biodiversité d’une opération.

La première étape consiste à caractériser le site, à identifier son potentiel écologique en valorisant la pratique de diagnostic écologique et en s’entourant de spécialistes (écologues). Pour cela, des indicateurs, développés par EFFINATURE (IRICE), sont calculés pour mesurer la « non-dégradation » ou les améliorations apportées en faveur de la biodiversité.

L’impact de la phase chantier sur le sol, la faune et la flore, est également surveillé et des dispositions doivent être prises au travers d’une charte d’engagements.

Enfin, un travail de sensibilisation doit être réalisé auprès des gestionnaires et des habitants pour pérenniser la démarche de préservation et de valorisation de la biodiversité en phase d’exploitation.

L’urbanisation incessante accentue l’enjeu de lutte contre l’artificialisation des sols. Pour y répondre, la certification demande le calcul d’un coefficient d’imperméabilisation, ainsi que d’autres exigences de moyens qui valorisent les actions permettant de lutter contre l’étalement urbain ou encore les systèmes de rétention écologiques des eaux de pluie.

La biodiversité est-elle prise en compte dans la future réglementation environnementale RE 2020 ?

Bas carbone, rénovation énergétique, qualité de l’air intérieur, matériaux recyclés/recyclables/ renouvelables, la biodiversité semble bien être la grande absente dans les réflexions menées autour de la future règlementation environnementale ou RE2020.

Pourtant, les énergies renouvelables qui se développent peuvent paradoxalement contribuer à l’épuisement de la biodiversité. En effet, l’implantation de parcs solaires, éoliennes terrestres et offshore, barrages… sur des milieux naturels qui accueillent une biodiversité riche et rare, viennent perturber voire détruire la faune et la flore, jusqu’alors préservées.

Finalement, l’enjeu pour tous les acteurs sera de faire plus sobre, seule solution pour tendre à la fois vers des bâtiments à faible consommation énergétique, avec une empreinte carbone réduite et limitant ses impacts sur la biodiversité.

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