En construction comme en rénovation, les défis du logement n’auront pas disparu avec la crise du Covid-19
L’ampleur de la crise sanitaire et économique associée est inédite, notamment pour le logement. Quels sont les points de vigilance ? Des parallèles avec des crises passées peuvent-ils être dressés ?
Les mesures de confinement liées à l’épidémie de Covid-19 ont considérablement, voire totalement bloqué l’activité de la construction. Les conséquences seront lourdes et longtemps présentes. La levée progressive de ce confinement devrait marquer, souhaitons-le, le début de la reprise pour la filière du logement. Mais les acteurs vont devoir rattraper les retards, relancer aussi rapidement et intensément que possible leurs activités et reprioriser leurs investissements. Toutefois, restons vigilants. Dans ces situations d’urgence, on a souvent constaté que des mauvais choix pouvaient être faits.
Au sortir de la seconde guerre mondiale par exemple, l’urgence était de reconstruire un parc de logement détruit. On a alors vu fleurir beaucoup de logements de qualité médiocre dont les occupants actuels sont d’ailleurs encore aujourd’hui insatisfaits. C’est ce que nous montrent les résultats du baromètre QUALITEL-Ipsos qui mesure la qualité que les Français perçoivent de leur habitat.
Au-delà des problèmes structurels propres aux maisons et appartements construits sur ces périodes (confort acoustique, confort thermique, ventilation…), des erreurs ont aussi pu être commises sur le plan de l’aménagement et de l’urbanisme, surtout dans les années soixante, époque à laquelle la France a aussi dû produire davantage de logements pour répondre à la forte croissance de sa population. La situation est évidemment différente aujourd’hui : l’enjeu du logement est essentiel mais l’urgence réside plus dans la nécessité de relancer l’économie, et notamment celle du secteur de la construction. Le risque de non-qualité, en revanche, pourrait rejaillir si l’on n’y prend garde.
Concrètement, le risque est-il de dégrader la qualité des logements pour des raisons de coût et de délais ? Si oui, quels sont les risques ?
Oui clairement. A fortiori si on se réfère aux situations d’urgence auxquelles nous avons été confrontés par le passé. Il ne faut surtout pas commettre les mêmes erreurs ! La qualité des projets, la qualité architecturale, la qualité technique, la qualité de mise en œuvre, la performance environnementale … tous ces éléments ne doivent plus être négociables. Ne perdons pas de vue que les défis du logement n’auront pas disparu avec la crise du Covid-19. Pour continuer à y répondre, la relance de l’activité, en construction comme en rénovation, devra plus que jamais intégrer la qualité comme une priorité.
A défaut, on s’expose à une inadéquation totale entre ce qui serait construit, les enjeux économiques, environnementaux et sociétaux mais aussi avec les attentes des particuliers qui sont, aujourd’hui plus que jamais, exigeants en matière de qualité et de bien-être chez-soi. Les conséquences d’un infléchissement de la qualité seraient donc particulièrement regrettables. La France dispose d’un savoir-faire mondialement reconnu dans ce domaine : sachons l’utiliser à bon escient et au contraire réinterrogeons nos projets avec l’œil neuf que nous apporte cette situation inédite.
Quels sont les prochains enjeux en matière de rénovation ? Quelles seront, selon vous, les priorités ?
La construction de logements neufs ne suffit pas à répondre à la demande. Pour autant, le parc existant ancien n’est pas au niveau, qualitativement parlant, en particulier en matière de performance énergétique. C’est cela l’enjeu principal, il faut rénover énergétiquement et massivement. C’est d’autant plus pertinent que les premières études expérimentales auxquelles nous contribuons démontrent que la rénovation a a priori un meilleur bilan carbone que la construction neuve. Ce n’est toutefois pas le seul enjeu, car là aussi notre Baromètre l’a relevé, les Français aspirent avant tout à améliorer la qualité et le confort au quotidien de leur logement. La situation actuelle accentue ce phénomène : il faut donc mener de front la rénovation énergétique et celle de son agencement intérieur, de sa cuisine ou de sa salle de bain par exemple. En résumé et s’il y a une priorité, c’est surtout de bien rénover : inutile de rénover un bien mal situé et peut-être sans valeur, ou mal conçu (à moins d’y apporter les corrections nécessaires) : le Plan Action Cœur de Ville est un excellent exemple de ce qu’il faut faire aujourd’hui.
A quels types de besoins, les Français seront-il plus attachés demain en matière de logement et d’immobilier au sens large ? Notre relation au logement sera-t-elle modifiée ?
Notre dernier Baromètre QUALITEL-IPSOS révèle une « fracture territoriale inversée » , une aspiration des Français à vivre dans les bourgs ruraux ou les villes moyennes : ils bénéficient de logements plus grands, ils sont moins gênés par les bruits, souffrent moins de la canicule et vivent dans un environnement plus agréable. On peut imaginer que si c’était déjà le cas en 2019, ça l’est aujourd’hui plus encore car l’état de confinement a amplifié ce besoin et le télétravail pour certains démontre que l’on peut, en partie, éviter de passer des heures dans les transports en commun (pourvu que la fracture numérique disparaisse).
Alors oui, je pense clairement que le besoin de vivre dans un environnement sain et préservé, riche de sa biodiversité, est un des fondamentaux qui va s’affirmer rapidement dans notre relation avec notre logement.
Y aura-t-il un avant et un après ?
Nous évoquions juste avant les enseignements de la seconde guerre mondiale. L’Europe, qui en avait été le principal théâtre, a su au sortir de cette crise, construire un espace de paix et de libre circulation dont nous bénéficions depuis 65 ans. Bien sûr cela n’est pas comparable, mais j’espère sincèrement que le choc sociétal et économique que nous subissons tous aujourd’hui, produira à son tour, des évolutions profondes et vertueuses, en particulier dans notre façon de vivre et d’habiter. Ce qui est certain, c’est que le contexte crée une opportunité de mettre la qualité et la durabilité des logements au cœur du plan de relance national aussi bien qu’au centre du futur Green deal de l’Union européenne, saisissons-là.